Association Haïtienne: Femmes Sciences et Technologie

Contexte historique

Le développement accéléré de la science et de la technologie, propre au XXe siècle, s’est accompagné aujourd’hui d’un défi à prendre en compte sans délai, à savoir, la  contribution à un développement humain durable, équitable et intégral de l'humanité. Cette démarche implique, entre autres, l’atteinte à court et moyen termes des objectifs suivants:

1.      le respect de l’égalité des chances entre les sexes,

2.      la reconnaissance de la diversité culturelle et ethnique,

3.      la protection de l'environnement,

4.      le renforcement de la démocratie,

5.      et la réponse aux besoins nationaux et régionaux en matière de croissance.

Compte tenu du fait que ces objectifs sont encore lointains, il convient de s’engager dans un effort collectif de prise de conscience et de coordination des différents groupes sociaux concernés, afin que la science et la technologie atteignent leur plein potentiel au XXIe siècle, tout en œuvrant pleinement au bien-être de l'humanité. Cependant, la contribution des femmes dans le domaine scientifique et technologique est essentielle pour parvenir à un développement humain durable et égalitaire. Forte de cette conviction, l'UNESCO tente depuis des années d'impulser des réflexions à tous les niveaux sur les voies les plus appropriées de contribuer à la résolution des problèmes auxquels se trouve aujourd'hui confronté l'enseignement des sciences et de la technologie dans certains pays, aux fins du développement économique et social.

En 2006, l’UNESCO[1] a analysé  la participation des femmes dans les professions liées au domaine de la recherche scientifique et aux différentes étapes de l’enseignement supérieur. « Dans 89 pays avec des données disponibles, les femmes représentent moins de 30% des chercheurs scientifiques dans le monde. En Amérique latine et les Caraïbes, les femmes représentent 46% des chercheurs rapportés. En revanche, cette proportion tombe à 15% en Asie et environ à 30% en Afrique subsaharienne ainsi qu’en Europe occidentale et centrale,UNESCO, 2006 ». L'analyse montre clairement que les femmes et les hommes prennent des chemins divergents pour accéder aux carrières de chercheurs scientifiques.

Par ailleurs, lors de la 34ème de la conférence générale, tenue à Paris en octobre 2007, l’UNESCO a publié une liste de vingt quatre pays de l’Amérique latine et des Caraïbes enregistrant un progrès dans les domaines scientifique et technologique. Force est de constater qu’Haïti ne figure encore sur aucune des listes ayant rapport au progrès scientifique et technologiques des états de la planète terre. Cette absence suscite toute une série de questionnements, par exemple, sur :

1.      le rôle de la science et de la technologie dans la définition et l’application des politiques publiques,

2.      l’existence d’un champ scientifique dans ce pays,

3.      le niveau d’alphabétisation fonctionnelle et scientifique de la population,

4.      l’appropriation d’une culture scientifique de base au niveau national,

5.      l’urgence d’une prise de conscience des blocages qui affectent les carrières des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche, ainsi que l’apport de la production des données sexuées et de leur analyse, à cette nécessaire prise de conscience, etc.

En 1983, Graubard[2] a introduit dans la littérature scientifique le concept de « alphabétisation fonctionnelle », qu’il définit « comme la capacité de lecture et d’écriture suffisante pour être adapté à la société, soit pour communiquer avec autrui afin de servir ses intérêts, économiques ou autres, soit pour participer à une vie démocratique ». Aujourd’hui, l’importation et l’opérationnalisation de ce concept en Haïti, obligent de choisir le genre, et plus particulièrement des femmes, parmi les variables sur lesquelles l’alphabétisation pourrait devenir fonctionnelle et pourquoi pas scientifique dans ce pays.

En effet, le sexe féminin représente 52,8% de la population haïtienne. Avec un taux de chômage qui oscille autour des 70% de la population, et un taux d’analphabétisme de 57%, Haïti n’est pas prête à sortir de son marasme économique. L’application plus ou moins adéquate, depuis plusieurs décennies, des modèles de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International n’a pas donné tous les résultats escomptés. Certains analystes politiques laissent croire que ces modèles ont, au contraire, contribué dans une proportion non négligeable, au sous-développement du pays, en un mot à la misère économique de la population. Toutefois, il est important de souligner, en dépit des différents retards cumulés par Haïti sur la route du développement humain durable, le rôle combien pertinent joué par les femmes et mères haïtiennes dans le maintien d’une certaine vie économique et sociale dans ce pays.

Par ailleurs, les modèles de développement socio-économique, élaborés par les pays industrialisés, mettent en évidence le lien étroit qui existe entre la science, la technologie et le développement économique. De nombreux scientifiques ont démontré l’existence d’une forte corrélation entre l’importance de l’investissement consacré par un pays à la recherche scientifique et technologique (importance exprimée d’ordinaire en fraction du PIB consacrée à la recherche-développement) et le niveau de vie et autres indicateurs du bien-être économique dans le pays considéré. En effet, dans ce monde marqué par la mondialisation économique, culturelle et sociale, mais également par la diversité, aucun développement humain durable n’est possible en absence d’une alphabétisation scientifique de la population. Selon Ayala (1996)[3], l’alphabétisation scientifique implique cette fonctionnalité, à savoir la capacité de réagir intelligemment face aux questions techniques qui se posent dans nos vies quotidiennes et dans le monde de l’action politique.

Il y a peut-être toute une connaissance à exploiter et à valoriser dans le monde de fonctionnement des femmes et mères haïtiennes. Il y a également tout un questionnement à faire sur la contribution de la femme haïtienne dans les différents cycles du système éducatif haïtien. L’analyse qualitative et quantitative des différentes données sur la femme haïtienne à travers les différentes phases de la construction et de la consolidation de la nation pourrait conduire non seulement à une redéfinition, non sexiste et féministe, de la femme haïtienne, mais éventuellement à la création d’un observatoire ou d’une société savante sur le rôle de la femme dans la mise en place d’une culture scientifique dans ce pays.

En 1996, Francisco Ayala[4] a introduit dans le vocabulaire scientifique le mot « Culture scientifique de base ».  Pour lui, ce concept « suppose avant tout une compréhension de ce qu’on pourrait appeler l’approche scientifique, ou la façon scientifique de connaître, ou bien encore la méthode scientifique. Cette compréhension exige un minimum de connaissances scientifiques spécifiques, mais elles n’ont pas besoin d’être étendues ou détaillées, ni de concerner toutes les disciplines. La CSB permet à quiconque d'approuver ou de rejeter des programmes présentés par les pouvoirs publics (de la fluoration de l'eau à la construction d'une centrale nucléaire), sans que cette décision se fonde sur des idées préconçues ».

Aujourd’hui, la mise en œuvre d’une démarche basée sur l’intégration de la culture scientifique dans le mode de fonctionnement de la société haïtienne, qui inclurait entre autres, la production des données sexuées et de leur analyse, pourrait donner naissance au paradigme de développement économique et social du pays. Les conclusions de  différentes conférences régionales et internationales réalisées ces dernières années sur l’état économique des pays du Sud, ont souligné que les exigences actuelles du développement de ces pays impliquent une appropriation dynamique des produits aujourd'hui offerts par les sciences et la technologie. Une telle appropriation passe nécessairement par une éducation scientifique et technologique s'appuyant sur des finalités, un contenu et des méthodes d'enseignement suffisamment explicites et en rapport avec les besoins réels de développement économique et social. Dans le contexte haïtien, il va falloir importer ces nouveaux outils et les implanter dans notre réel comme des façons de penser et d’agir. Comme le souligne Alain Gilles (1998)[5], « il s’agira d’une culture scientifique importée, le problème à résoudre reste la mise en place d’une culture scientifique nationale».

Aujourd’hui, le CNRS, l’un des grands organismes de recherche de la France, se conjugue harmonieusement au féminin. Avec près de 11 000 femmes dans ses rangs, le CNRS pense qu’il ne peut pas s’affranchir des questionnements sur la place des femmes, qui irriguent la conscience citoyenne. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG (2000)[6] souligne : « Il n’y a pas à justifier la nécessité d’un renforcement de la présence féminine dans les métiers de la recherche ». L’urgence d’une prise de conscience pour l’implantation d’une véritable culture scientifique en Haïti, et dans le souci d’éviter à l’avenir des blocages pouvant affecter les carrières des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche conduit aujourd’hui un groupe de chercheurs haïtiens, féminins et masculins, à donner naissance à:

L’Association Haïtienne: Femmes Sciences et Technologie (AHFST)

 

Références

[1] Femmes et Science Bulletin S-T NO 3 Mise à jour 2006-11-08

[2] Stephen R. Graubard dans Nothing to fear, much to do. Daedalus, Journal of the American Academy of Arts and Sciences, printemps 1983, vol. 112 (2), pp. 231-284.

[3] Francisco J. Ayala, dans: La culture scientifique de base. UNESCO, Rapport sur la science dans le monde. UNESCO, Paris, 1996.

[4] Op cité

[5] Alain Gilles, dans: L'État et la constitution d'un champ scientifique. Conjonction, Revue franco-haïtienne, Haïti, 1998, no. 203, pp 89-96, souligne que : « En fait les haïtiens ayant poursuivi des études avancées à l’extérieur l’ont fait dans différentes institutions de différents pays. À leur retour dans le pays, non seulement ils ne trouvent pas de structures d’accueil de recherche ou d’enseignement, ils ne partagent pas non plus une culture scientifique commune. Ces deux éléments tendent à se renforcer et à rendre encore plus difficile l’émergence d’un champ scientifique national”.

[6] Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (2000) de la France, dans son allocution au colloque "Sciences et Technologies : pourquoi les filles ?" le 26 octobre 2000 au CNAM.

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