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Bénicia Souffrant, dite Madan Janba, allait vers ses 128 ans. Elle était sans doute la doyenne de l’humanité. Elle s’est éteinte le 1er novembre 2020.L’Université Quisqueya et le Recteur Jacky Lumarque lui rendent hommage ce 14 novembre à Moyette, 8ème section communale de Petit Goâve.

Il était une fois une très vieille femme qui vivait à 600 mètres d’altitude, au milieu des bananeraies et d’arbres centenaires, dans la localité de Moyette (8ème section communale de Petit-Goâve), quasiment seule et sans moyens, mais avec un très grand coeur. Comme beaucoup de personnes âgées, ayant passé toute leur vie dans le « pays en dehors », selon l’expression du sociologie Gérard Barthélémy, où l’État est totalement absent et où les services sociaux de base sont quasi inexistants, elle était condamnée à attendre la mort, seule, s’alimentant à peine et dormant par terre sur des feuilles de bananier, avec pour seul toit les étoiles.

Elle croyait en Dieu et sa foi était inébranlable. Elle était devenue tellement âgée qu’elle ne reconnaissait pas ses arrières petits enfants. Il faut dire qu’aucun ne lui rendait de visite ou si rarement ! Elle était devenue invisible dans sa misère. Comme si une fin de vie interminable n’offrait aucun intérêt. À en croire un aveugle rencontré dans le voisinage, tous les gens s’attendaient chaque jour à son trépas. Comme si à l’automne de la vie, le monde ne peut que perdre les quelques rares feuilles d’humanité qui lui restent.

 

Elle est née, selon toute vraisemblance, le 17 janvier 1893, à Verdier. Ses parents lui donnèrent le nom de Bénicia Souffrant. Jeune fille, elle rencontra Emmanuel Jasmin qui fut son concubin pendant plusieurs années. De sa liaison avec cet homme, elle mit au monde deux enfants.Ensuite, elle se maria à Jean Baptiste Laguerre. D'où son surnom « Madan Janba » sous lequel elle se fit connaître rapidement. De cette union conjugale sont nés quatre enfants: deux garçons et deux filles. Aujourd’hui, ses six enfants sont tous décédés. Elle ne lui restait que des arrières petits fils et petites filles.

Durant sa jeunesse Madan Janba pratiquait le commerce et la médecine traditionnelle. Selon Me Delpêche Joassaint, « elle était séduisante et attirante. À l’époque, des militaires lui faisaient la cour. Mais elle n’a jamais trompé son mari. Elle était une fervente catholique. Elle allait à la messe régulièrement. Elle allait aussi souvent au bal et pratiquait le vaudou. Un jour, son beau-fils a incendié sa maison et elle a perdu tous ses papiers. Elle aime son prochain et elle a le sens du partage. À l'insu de son mari, elle accordait des prêts aux gens de la zone. Elle offrait toujours aux visiteurs quelque chose à manger ou à boire ».

Madan Janba s’est éteinte le 1er novembre 2020. Elle aurait eu 128 ans le 17 janvier 2021. C’est un tweet de Jacky Lumarque qui a annoncé la triste nouvelle.

Comment est née cette histoire incroyable de la rencontre entre la femme la plus âgée d’Haïti et le Recteur de l’Université Quisqueya ?

Averti de l’existence de Madan Janba, le Professeur Jacky Lumarque, accompagné de M. Jacques Edouard Alexis, ancien Premier Ministre et co-fondateur de l’Université Quisqueya, se rendit à Moyette le 23 mars 2018. Découvrant l’indignité de la situation dans laquelle se trouvait Madan Janba, Jacky Lumarque décida de construire pour elle une maison. Touché par son courage hors du commun, il s’engagea en personne à la supporter pendant tout le reste de sa vie. La demeure fut édifiée sans tarder, avec l’aide de M. Ogé Beauvoir, Évêque de l’Eglise anglicane d’Haïti, Directeur exécutif de l’ONG « Food for the poor », contacté par le Recteur.

Lors de la bénédiction de la nouvelle maison, plus d'une centaine de personnes dont les fidèles de la Paroisse Saint-Gérard de la 8ème section, les représentants de l'Université Quisqueya, les autorités locales (membres de la Mairie de Petit Goave, du CASEC et de l'ASEC), les proches parents, les amis et les sympathisants de la famille, se réunirent en présence du curé de la Paroisse le révérend Père Jude qui demanda à Dieu de couvrir l'Université Quisqueya de ses bénédictions pour cette œuvre de bienfaisance et de philanthropie avant d’asperger la maison d'eau bénite.

Alimentée en énergie électrique par un système solaire, la maison comprend une grande salle, deux chambres à coucher, une cuisine, un entrepôt, deux galeries, une douche et une citerne d'eau. De plus, deux femmes de la zone ont été engagées, dont les tâches essentielles consistaient à prodiguer des soins à la Doyenne d’Haïti et à veiller sur elle. Chaque mois, le Recteur émettait un chèque pour l'entretien, l'alimentation, les soins et le paiement des employées qui s'occupaient d'elle. Le mode d'alimentation de Madan Janba, à base de produits locaux, était respecté scrupuleusement. Jacky Lumarque avait donné des instructions pour que rien ne soit changé dans la façon de se nourrir de la vieille dame et que ses habitudes ne soient nullement modifiées. C’est le Directeur Général de l’Autorité Nationale de Régulation du Secteur de l’Énergie (ANARSE), M. Evenson Calixte, Vice-Recteur aux Affaires Académiques de l’Université Quisqueya, qui avait fait mettre en place le système solaire.

Le but de cette action exemplaire considérée comme un service à la société - mission que s’est donnée l’Université Quisqueya depuis sa création - était d’offrir à la probable Doyenne de l’humanité les moyens d’avoir une vie meilleure et plus décente. Pour son anniversaire, le Recteur et une délégation de l’Université se rendaient à Moyette pour fêter dignement Madan Janba. En janvier 2020, l’événement préparé de longue date n’a malheureusement pas pu avoir lieu en raison de l’insécurité qui régnait à la sortie de Port-au-Prince, à hauteur de Martissant et qui a obligé le convoi à rebrousser chemin.L’UniQ avait même prévu une clinique mobile animée par une quarantaine d’étudiants et d’enseignants de la Faculté des sciences de la santé pour apporter des soins gratuits et des médicaments aux personnes malades dans la zone.

« Un trésor national pour Haïti ! ». C’est en ces termes que l’Université Quisqueya parle de Madan Janba. Personnalité hors du commun, dotée d’une santé et d’une vitalité extraordinaires, elle avait une bonne mémoire et une bonne maîtrise du langage. Sa peau parcheminée avait la douceur du satin. Ses muscles étaient tendus avec le temps, mais son esprit restait éveillé. Elle aimait embrasser ses visiteurs. Quand, toute fragile, elle tendait les bras vers le ciel, tout son être devenait  verticalité et inspirait le sentiment d’élévation. Elle adorait esquisser des pas de danse. Aux dires des connaisseurs, elle avait le kompa dans la peau !

Arriver à l’âge de 127 ans, est un exploit exceptionnel, surtout si l'on considère que l’espérance de vie en Haïti est d’environ 63 ans. A vrai dire, la certitude sur l’âge de Madan Janba n’a pas pu être acquise de manière scientifiquement irréfutable. On a déterminé son âge uniquement à partir d’informations obtenues à partir de l’acte de naissance endommagé de sa sœur jumelle décédée Mersilia Souffrant. Bien que cette Haïtienne dont la vie s’étend sur trois siècles ne fasse pas partie du World Guiness Record ou de tout autre classement mondial de longévité, l’UniQ est fière de lui rendre un hommage bien mérité.

Auteur : Alain Sauval
Unité de communication de l’Université Quisqueya
13 novembre 2020

Les funérailles auront lieu le 14 novembre 2020 à Moyette en présence du Recteur et d’une délégation de l’Université Quisqueya.


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