Parue dans Les Brèves de l’UniQ

ComUniQ : Vous avez été Doyen de la Faculté des Sciences de l’Education (FSED) de l'UniQ de 2011 à 2017. Quel bilan tirez-vous de cette expérience et quelles recommandations souhaiteriez-vous transmettre à votre successeur ? 

Prof. CHÉRY : Pour répondre à cette question précise, permettez-moi de remonter à plus de 20 ans en arrière pour retracer mon parcours à l’UniQ. J’ai effectivement débuté comme Chargé de cours à la FSED en septembre 1996 pour dispenser le cours d’Administration Scolaire. Pendant les deux sessions qui ont suivi, j’ai acquis le statut de Professeur régulier avec deux autres cours à ma charge : Système éducatif haïtien et Droit éducatif et scolaire.

Au mois de janvier 1997, toujours comme Professeur régulier de la FSED,  j’ai rejoint la Faculté des Sciences Economiques et Administratives (FSEA) pour dispenser le cours de Théories des Organisations. Et, en janvier 1999, sur recommandation du Doyen, j’ai été nommé, par le Rectorat, Coordonnateur du Programme de Cycle Court de la FSEA qui, alors, comptait 89 étudiants pour les deux filières offertes à l’époque. Ce nombre allait évoluer de façon spectaculaire pour atteindre le chiffre de 382 étudiants en janvier 2001, dans trois filières : Gestion des Affaires, Comptabilité de Management et Marketing. Poursuivant dans cette même dynamique, nous avons procédé à une réingénierie du programme qui a conduit, depuis septembre 2007, à une Licence Professionnelle, par cumul de Certificats, tout en étant enrichi et revalorisé. Promu Doyen de cette Faculté en septembre 2009, j’y suis resté deux ans avant de prendre la direction de la FSED, par décision du Rectorat, en juin 2011, comme vous l’avez signalé. A ce poste que je quitte aujourd’hui avec un pincement de cœur certain, je n’ai pas eu la même bonne fortune qu’à la FSEA. Car, j’ai toujours visé l’excellence et atteint les performances les plus élevées dans tous les postes que j’ai occupés au cours de ma longue et fulgurante carrière. En renonçant à mes fonctions de Doyen de la FSED, j’ai dit dans ma lettre adressée au Recteur que, pour moi, c’était gratifiant, à divers points de vue, de travailler à l’UniQ. Je ne parle pas des témoignages de reconnaissance, des voyages d’études, des opportunités de développement personnel et professionnel évidents, ni des plaques d’honneur que j’ai reçues pour mon travail à la FSEA. C’est le sentiment de contribuer à l’édification d’une œuvre colossale et inédite dans notre Pays, pour ne pas dire uniQue (voyez le jeu de mot), à côté de bâtisseurs acharnés comme Jacques Edouard ALEXIS, Jacky LUMARQUE, Paul SAINT-HILAIRE, etc. C’est cela que je trouve réconfortant et hautement gratifiant.

Pédagogue et gestionnaire de formation et de métier, j’étais normalement dans mon domaine ; mais je suis sensé savoir que les compétences techniques ne suffisent pas pour faire avancer une organisation, un projet. Il faut une vision partagée, un engagement réel et sincère de tous les acteurs, un souci du service bien fait et, par-dessus tout, un sens du sacrifice, que réclame particulièrement l’exercice de ce  métier.

Cela dit, je voudrais exprimer ma reconnaissance au Rectorat qui a placé sa confiance en moi et à tous ceux qui m’ont accompagné dans mes efforts inlassables pour revaloriser non seulement le  métier auprès des étudiants et même de certains professeurs, mais aussi l’image et le rôle de la FSED au sein de l’UniQ. Grâce à ce soutien, nous avons pu réaliser la réingénierie des programmes offerts, les adapter aux besoins, tendances et exigences actuels, tout en orientant les étudiants vers des choix de cursus plus clairs. Nous avons travaillé à la conception et à la mise en place d’un dispositif conséquent de formation continue, avec la création de l’Institut Supérieur de Formation continue des enseignants et des personnels éducatifs du Pays (InnovEd/UniQ).

Une autre réalisation qui traduit notre souci de donner toute sa place à la recherche et à l’innovation est la création, en janvier 2013, du Centre de Recherche en Éducation (CERED). Y sont adossés, bien entendu, les programmes de Maîtrise et de Doctorat pour contribuer de manière directe au relèvement et à la modernisation de l’École haïtienne, en privilégiant des thématiques en lien avec la réalité objective et les besoins du pays en général, et ceux du système éducatif, en particulier.

Je souhaite vivement que mon successeur partage et maintienne cette vision résolument tournée vers la qualité et l’innovation pédagogique, tout en l’enrichissant certainement. 

ComUniQ : Vous avez été nommé le 5 janvier 2017, par le Ministre de l'Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, Inspecteur Général pour l'administration. Pouvez-vous nous parler de cette structure d'aide à la Gouvernance nouvellement créée au sommet du MENFP ? Quelles sont ses missions ? Quels sont les défis que vous allez devoir relever au cours des 6 ans à venir ?

Prof. CHÉRY : L’Unité d’Inspection Générale est avant tout une instance de veille, de régulation et d’audit permettant au Ministre d’agir opportunément et efficacement sur l’ensemble du système éducatif, d’avoir le contrôle effectif du pilotage et du bon fonctionnement de celui-ci. C’est donc, essentiellement, une structure d’aide à la Gouvernance qui remplit une mission impliquant trois grandes responsabilités : 

  • Celle d’effectuer une veille stratégique permanente, par l’observation continue du fonctionnement du système, en prenant l’initiative d’études et d’enquêtes,  par l’analyse de rapports divers, en vue de donner des avis motivés au Ministre ;

  • Celle de vérifier et de contrôler la conformité des actes administratifs posés et les décisions techniques, par rapport aux directives ministérielles, aux dispositions règlementaires, aux normes, critères et principes établis, en vue de proposer les mesures de redressement nécessaires ;

  • Celle d’assurer l’évaluation et l’audit des résultats obtenus, par rapport aux objectifs fixés et aux investissements consentis, suivis de recommandations appropriées au Ministre.

Dans la réalisation de cette importante mission, l'Inspection Générale de l'Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (IGENFP) remplit donc un triple rôle de contrôle administratif, pédagogique et financier, en exerçant des fonctions de contrôle et d’audit, de suivi et d'évaluation, de vérification de l’observance des politiques, normes, règles et procédures établies au niveau de l'ensemble du système éducatif, dans une perspective d'amélioration continue des services d'éducation et de formation. Concrètement, le cœur de la mission des Inspecteurs Généraux consiste à :

  • Évaluer, contrôler et assurer le suivi des politiques publiques relatives à l'Éducation  et à la Formation Professionnelle;

  • Contribuer à l'émergence d'une culture d'évaluation et de reddition des comptes, partagée par  l'ensemble des structures technico-administratives du MENFP.

ComUniQ : En 1984, vous avez soutenu brillamment une Maîtrise en Sciences de l'Éducation à l'Université de Montréal et, depuis, vous avez toujours été au service de l'Éducation en Haïti en occupant des postes à très haut niveau. Pouvez-vous mentionner ceux qui vous ont permis de faire avancer le plus les dossiers qui vous tenaient à cœur ?

Prof. CHÉRY : Vous avez bien fait de préciser… ceux qui ont permis de faire avancer le plus…Car, j’ai toujours essayé de rentabiliser mes nombreuses années de service, à tous les niveaux où j’ai été appelé à mettre mes connaissances et mon expérience à contribution.

Dans l’Administration publique, j’ai été tour à tour Directeur d’école, Inspecteur de district, Inspecteur départemental, Directeur de projets, Directeur de Division, Conseiller de Ministres, Directeur de Cabinet de trois Ministres, Directeur Général, Expert et Consultant auprès de diverses organisations et, depuis 1996, Professeur d’université, Coordonnateur de programmes universitaires, Doyen. Il ne me manque qu’un seul poste pour compléter cette belle carrière, me direz-vous peut-être. C’est vrai. Mais celui-là, je l’ai refusé par deux fois, et sans regret.

Pour répondre à votre question, je crois que, toute proportion gardée et toute considération sentimentale mise à part, les postes suivants se sont effectivement avéré les plus fructueux pour moi :

  • Celui de Directeur du Projet d’Éducation DRIPP (Gouvernement Haïtien/ACDI) où j’ai contribué au renforcement de l’infrastructure scolaire de cette région du Pays, de Petit Goâve à Petit Trou des Nippes ;

  • Celui de Directeur du Bureau d’Organisation et de Méthode au Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MARNDR), où j’ai laissé un ensemble d’outils permettant la rationalisation et la stabilisation des procédures et des mécanismes administratifs ;

  • Celui de Directeur Général de l’Institut National de Formation Professionnelle et Technique, qui m’a permis de mettre en application les propositions émises dans mon Mémoire soutenu à l’Université de Montréal, à propos de la Formation professionnelle et technique en Haïti, en  concevant et en expérimentant le Baccalauréat technique, en 1995, avec des résultats très concluants;

  • Celui de Directeur de Cabinet pour le privilège qu’il m’a donné d’influencer certaines décisions ministérielles importantes pour la rénovation du système éducatif;

  • Et, bien sûr, celui de Professeur, puis de Doyen à l’UniQ où mes quatre filles ont pu recevoir une formation de qualité et où j’ai certainement donné le meilleur de moi-même.  

ComUniQ : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes de ce pays, notamment aux étudiants ? 

Prof. CHÉRY : En peu de mots, je leur dirais d’être patients, de se défaire de toute tendance à la facilité et à une débrouillardise de mauvais aloi (degaje pa peche !). De bannir résolument de leur pensée ces paradigmes socioculturels destructeurs qui ont malheureusement cours chez nous, tels : « pito nou lèd nou la ! », « jan l pase, li pase ! » et de viser l’excellence en tout, car ces fausses idées ne sont, en fait, que des encouragements à la stagnation, au laxisme, à la résignation et elles annihilent toute volonté de lutter et d’avancer.  

Cet impératif d’excellence leur impose de se fixer des objectifs élevés, mais réalisables par l’étude, l’effort soutenu,  la mise à profit de chaque instant de leur vie pour se construire un avenir sûr.  Car le succès ne s’offre pas, il se forge.  

 

Interview par Alain Sauval (mars 2017)

 


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